Un esprit de différence
La philosophie des Foudres HSE est celle du partage des imaginaires, des perceptions et des pensées. Car on sait ici qu’une imagination qui reste close sur elle-même se dessèche, qu’une perception qui se contente de son angle se prive de la richesse de vues autres, et qu’une pensée qui ne s’expose pas à d’autres pensées dégénère bientôt en cliché.
Penser ou rêver par soi-même ne veut pas dire penser ou rêver tout seul, mais au contraire penser et imaginer en commun avec d’autres : « Penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leur pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? » (Kant).
La culture du peuple
Ce qui est vrai des pensées l’est autant, sinon plus, des imaginaires. Ce pourquoi les Foudres HSE déclinent la culture en de multiples espaces publics, la culture n’étant pas un bien privé mais la chose publique par excellence, c’est-à-dire la chose du peuple.
L’esprit du rhum vient donc de se trouver une seconde vie dans ces anciens chais baptisés par Édouard Glissant et transformés en lieu d’accueil culturel. Ces Foudres sont effectivement faits pour laisser entrer en « commerce » les imaginaires des quatre coins de l’île, de l’archipel et du monde.
Lieu d’échange, non de valeurs mais de saveurs. Lieu de rencontres, lieu de passages.
Lieu où passer un moment à écrire, à lire, à imaginer, à jouer de la musique, et où il n’est pas question de prendre racine car tout y est fait au contraire pour se déchouker l’imaginaire, se désencayer la pensée et le désir, à coups de rencontres improbables : concert, projection, exposition, spectacle vivant…
Une poétique de la photo
L’exposition permanente du photographe Jean-Luc de Laguarigue assure l’unité du lieu : Le Pays des imaginés est en effet une excursion photographique originale dans l’univers poétique d’Édouard Glissant, lequel a imaginé la « relation » au sein de la société d’habitation qui l’a méthodiquement refoulée, sans parvenir toutefois à étouffer le formidable concert des imaginaires qui la travaille.
La prouesse poétique est là, dans cette libération improbable de la relation au beau milieu d’un univers obsédé de frontières, de hiérarchies et de tension raciale. Ce n’est pas un concept qui pouvait délivrer autant d’énergies sismiques. La relation est en effet moins une conception qu’une image : on comprend qu’une telle poétique était de destinée à parler au photographe…
L’appétit du grand large
Dans les Foudres les événements n’obéissent ni à une logique, ni à une pédagogie, et encore moins à une morale. Ils n’ont d’autre souci que de mettre l’existence en fête. Ils sont comme les cabouyas dont parle Chamoiseau qui organisent « malgré leur délire, un bel équilibre de parfums, de couleurs, d’ondulations ».
C’est sans doute parce que la Martinique est une île que c’est ici que se manifeste si fort cet appétit du grand large. Le rêve des Foudres est ainsi de faire rimer insularité et mondialité, de permettre à chacun de cultiver sa différence par le vaste commerce des différences.
Les Foudres HSE sont donc aussi et surtout un lieu populaire. Car on le sait, la culture fonctionne d’ordinaire comme agent et marqueur de pouvoir. Ce pouvoir de la culture s’exerce sur les personnes en leur assignant un territoire qui les situe à l’intérieur ou à
Un nouveau rendez-vous
Les lieux de cultures — musées et autres salles de spectacle et d’exposition — sont jaloux de leurs frontières qu’il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir franchir, tant se dressent de barrières sociales ou économiques… Comme tous les privilèges, la culture ne croit pouvoir continuer d’exister qu’en étant réservée à certains. Elle semble n’avoir d’autre souci que de s’assurer de son territoire en veillant sur ses frontières.
C’est dans l’insu de cette police de la culture que s’érigent les Foudres HSE, qui n’ajoutent donc pas un lieu culturel de plus mais créent un tout nouveau « rendez-vous aléatoire des charrois » qui échappe à la surveillance culturelle. La culture sort enfin du carcan social pour aborder pour de bon les vastes rivages de l’existence dans son infinie diversité.
L’aventure artistique
Et de fait, on ne trouvera pas ici de « ces spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur, qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et l’inaction, qui n’offrent aux yeux qu’affligeantes images de la servitude et de l’inégalité », comme le déplorait Rousseau à propos du théâtre sous le régime monarchique, lesquels « spectacles exclusifs » ont aujourd’hui leurs avatars républicains.
On ne vient pas aux Foudres HSE chercher une distinction ou obtenir un privilège ; c’est la rencontre elle-même qui est toute la récompense. Ici on ne connaît pas non plus de hiérarchie entre la culture classique et la culture populaire. On ne parle pas de culture en termes de valeur ajoutée mais de bouleversement et d’émotion.
La culture présentée par les Foudres HSE n’est plus une arme sociale mais redevient une aventure culturelle, riche de différences mais sans distinction.
Guillaume Pigeard de Gurbert