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Mythologie de la lune


…… Ce n’est pas du soleil que les couleurs empruntent leur lumière, mais de la lune. Il faut mesurer la profondeur du mot de Milan Kundera selon lequel « les tableaux d’Ernest Breleur sont tous des tableaux de nuit ». Aux côtés de Patrick Chamoiseau qui a mis l’écriture hors de soi pour marquer une « parole de nuit », Ernest Breleur plonge effectivement la peinture dans un régime nocturne et crée pour sa part une « peinture de nuit ». Le soleil reste égal à lui-même et ne change pas, il apparaît et disparaît, voilà tout. La lune, elle, croît et décroît, naît et meurt : pendant trois nuits, le ciel reste sans lune. Mais la mort de la lune est suivie d’une renaissance : la nouvelle lune. La lune révèle à l’homme sa propre condition : en même temps qu’elle est soumise au changement, elle est régie par le cycle de l’éternel retour. D’où l’ambivalence du symbolisme religieux attaché à la lune : à la fois image de la mort et de la vie éternelle. Chez les Pygmées d’Afrique, pour la fête de la nouvelle lune les femmes s’enduisent de sucs végétaux pour devenir blanches comme la lumière spectrale de la lune, tout en exécutant des danses dédiées à la lune en tant que principe de génération et mère de fécondité. Certes, la mythologie lunaire ne se limite pas au continent africain et se retrouve aussi bien chez les Papous que chez les Esquimaux chez qui les jeunes filles ne doivent pas regarder la lune de peur de tomber enceintes. Mais c’est depuis l’Afrique que cette mythologie de la lune a funambulé jusqu’à la Martinique à travers, notamment, le rythme du tambour : à côté du tambour bèlè, il y a en effet les rythmes de tambour que l’on regroupe sous l’appellation Lalin klé (la lune claire) : musique d’extérieur qui réunit un grand nombre d’esclaves, la nuit, au clair de lune, et rythme leurs danses qui sont autant rites de fécondité aux noms prometteurs : jé lanmou, karésé, woulé mango, ting bang ! Ces jeux de l’amour, c’est le résidu de la résistance dérisoire « d’une si vaste vie dans cette mort si étroite. »

Guillaume Pigeard de Gurbert (extrait, in Les nuits blanches d’Ernest Breleur)